Page 32 - GraziaMag.ma N°044 Avril-Mai 2020
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Zainab Fasiki,
          bédéiste et illustratrice
          militante
          Je me souviens que j’étais en Espagne pour une
          conférence sur mon livre, quand j’ai commencé à
          lire des nouvelles sur la fermeture des frontières
          entre le Maroc et l’Espagne. J’ai commencé à pani-
          quer, par chance mes vols étaient justes avant la li-
          mite. J’arrive enfin à la maison, une maison dans un
          quartier populaire, où je retrouve toujours la sé-
          rénité, après mes voyages. Ce jour-là n’était que le
          début d’une histoire sombre. J’écoute les nou-
          velles, et j’entends seulement parler de Marocains
          étant venus au Maroc en même temps que moi,
          qui ont tous été infectés par le Covid-19 d’Europe.
          Je décide de rester à la maison pendant plus de 2
          semaines. Les premiers jours, j’étais fatiguée, j’ai
          eu de la fièvre, la grippe et parfois je ne pouvais
          plus respirer à cause de mon nez, j’ai pensé pen-
          dant des jours que j’avais attrapé le virus, j’ai ima-
          giné comment l’art et le voyage étaient finalement
          les choses qui me tueraient, et non l’extrémisme
          que j’ai combattu dans mon travail. J’étais loin de
          mes parents, ils sont dans une autre ville, et j’ai
          décidé de ne pas les voir car j’avais peur de les in-
          fecter. Ils m’ont dit que j’avais créé mentalement
          tous les symptômes. Je n’ai pas pu dormir pendant
          des jours, ni je n’ai pu dessiner pour mes pro-
          chains livres. Puis j’ai réalisé que tout cela me fati-
          guait, j’ai commencé à dessiner, cuisiner, lire, re-
          garder des comédies. Un matin, je me suis
          réveillée avec une alarme spéciale, cela faisait
          14 jours que j’étais entrée au Maroc, c’était
          un moment de joie, j’ai commencé d’une ma-
          nière stupide à me toucher, en m’assurant
          que j’étais vraiment encore en vie. J’ai com-
          mencé à rire et à dire : il est temps de re-
          tourner au travail, de penser à ceux qui ont
          besoin d’aide pendant cette crise. J’ai eu
          beaucoup de travaux annulés, ce qui
          signifie pour moi une période diffi-
          cile, comme pour tous les artistes
          marocains. Mais je me fiche de ma
          situation financière ! Je savoure le fait
          d’être encore en vie. Il était trop tard
          pour voir mes parents car les trains ne
          fonctionnent plus, alors me voici en-
          core aujourd’hui à la maison, je tra-
          vaille, j’écris ce témoignage, et je
          pense à ce que l’avenir nous
          cache. Nous pourrions tous avoir
          été perdus dans la vie moderne,
          sans apprécier notre bonne santé,
          la solidarité et comment la nature
          peut nous gifler à tout moment. Si
          jamais ce virus disparaît, j’espère
          que l’humanité apprendra sa leçon. ■


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