Page 34 - GraziaMag.ma N°044 Avril-Mai 2020
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GRAZIA MAGAZINE
Rita El Khayat,
psychiatre et auteure
C’est une situation inédite, dont les conséquences
sont probablement à moitié positives et à moitié né-
gatives, ce qui demande une force de cohésion inte-
rhumaine et sociale à mobiliser pour le ré-équilibre, à
la fin de la pandémie… les décisions, les moyens et at-
titudes socialement conseillés pour dépasser ce cap si
difficile font appel au bon sens et à notre humanité ;
s’entraider, se soutenir, ne pas rompre le lien, obéir
aux autorités et aux autorités sanitaires, réfléchir sur
Soi et sur les Autres, faire des bilans, lire, continuer à
instruire ses enfants, écouter de la musique, regarder
des films, mettre sa vie et sa maison en ordre : on ne
verra pas passer le mois de confinement. Il faut parti-
culièrement aider les plus vulnérables, les plus âgés,
les plus isolés pendant ce confinement qu’il faut ac-
cepter à l’intérieur de soi avant de l’accepter à l’inté-
rieur de sa maison et de « sa chambre à soi »…
… Je crois qu’il se fera une prise de conscience pla-
nétaire de notre vulnérabilité, car une grippe peut
gripper le monde entier qui est à l’arrêt et qui re-
tient sa respiration, et c’est le cas de le dire. Des ur-
gences plus humaines comme l’entraide, la cohésion
sociale, le rapprochement entre les personnes au
détriment d’une vie factice et superficielle, feront
surface, ce sera le gain après cette période assez
sombre de l’histoire humaine toute entière. On fera
certainement plus d’efforts pour doter la Médecine
et la Recherche Scientifique de moyens plus impor-
tants, on se questionnera davantage sur le sens de la
vie, sur la morale, sur l’importance de la croyance et
de toutes les attitudes et valeurs spirituelles… les
stigmates demanderont une résilience que chaque
personne fera avec ses moyens physiques et psy-
chiques, ses convictions et son oblativité.
(... ) Cela fait 6 jours que je suis confinée. Je n’ai pas
écrit, j’ai surtout écrit aux proches et aux amis ; par
contre, curieusement, je fais le bilan de ce que j’ai
écrit jusqu’à présent, je suis entrée en contact avec
des personnes qui ont travaillé sur mes livres, j’es-
saie de comprendre pourquoi j’ai écrit tout cela,
sous quelle urgence passée, pourquoi de cette ma-
nière, en me demandant, surtout, quelle la valeur la
plus profonde de toute cette œuvre. J’ai réfléchi à la
catastrophe de l’annulation de tous les congrès et
conférences auxquels je devais participer et qui ont
été annulés, ce qui est un crève-cœur pour moi, at-
tendant avec prudence celui qui a été reculé à juin.
(… ) Quand je suis rentrée chez moi, j’ai pris un
crayon et j’ai écrit page par page : pas de réveils à
l’aube, pas de réveil obligé, pas de réveils (pour les
rendez-vous, les tâches quotidiennes, les occupa-
tions obligées, etc.), pas de réveil et pour aucune rai-
son, pas d’avion ou de train à prendre, … que du
temps libre, pas de contraintes, pas de programmes
pour la journée, la semaine, les vacances, … per-
sonne à voir ou à rencontrer, pas de déjeuners de
travail… etc. etc. et je me suis rendu compte que
c’était LA LIBERTÉ ! Enfin… une liberté extraordi-
naire qui donne le vertige… ■
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