Page 72 - GraziaMag.ma N°048 Septembre 2020
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GRAZIA CULTURE
RÉVÉLATION
Ce roman sera sans doute
l’une des révélations de la
Photo Arnaud DELRUE roman le plus remarqué de
rentrée littéraire. Premier
cette saison, il est signé
Le roman de la rentrée d’une jeune auteure de
vingt-quatre ans, et
construit en monologue
Voilà un très beau roman qui comblera les amateurs de tissé de fragments.
e m’appelle Fatima Daas. Je suis la
portrait subtil de femme. C’est un magnifique portrait de mazoziya, la petite dernière. Celle à
femme que l’auteure tente de saisir dans toutes ses Jlaquelle on ne s’est pas préparé.
dimensions et ses contradictions. Et elle se nomme Liv veut Française d’origine algérienne. Musulmane
dire « vie » en norvégien. pratiquante. Clichoise qui passe plus de
trois heures par jour dans les transports.
Par Kenza ALAOUI Une touriste. Une banlieusarde qui
observe les comportements parisiens. Je
on nom est Liv Maria explore avec une grande justesse les suis une menteuse, une pécheresse.
Christensen. Enfant solitaire, détours de l’intime, les jeux de Adolescente, je suis une élève instable.
Sjeune fille fiévreuse, orpheline l’apparence et de la vérité. Née en Adulte, je suis hyper-inadaptée. J’écris des
puis héritière, la voici mère et madone, 1987 à Nantes, Julia Kerninon est histoires pour éviter de vivre la mienne.
installée dans une vie d’épouse. Mais l’une des voix importantes de la J’ai fait quatre ans de thérapie. C’est ma
comment se tenir là, avec le souvenir nouvelle génération d’autrices. Ses plus longue relation. L’amour, c’était tabou
de toutes ces vies d’avant ? Faut-il précédents livres ont été couronnés de à la maison, les marques de tendresse, la
mentir pour rester libre ? Julia nombreux prix, salués par la critique sexualité aussi. Je me croyais
Kerninon brosse le portrait et traduits à l’étranger. Avec ce polyamoureuse. Lorsque Nina a
éblouissant d’une femme marquée à cinquième roman, elle affirme encore débarqué dans ma vie, je ne savais plus
vif par un secret inavouable. Et son talent. ■ du tout ce dont j’avais besoin et ce qu’il
me manquait. Je m’appelle Fatima Daas.
Je ne sais pas si je porte bien mon
L’EXTRAIT prénom. Pour Virginie Despentes,
« Le soir, il venait s’asseoir au bord de son lit pour lui lire L’Amour de la vie, une « Fatima Daas creuse un portrait, tel un
nouvelle de Jack London, quand elle n’avait pas encore dix ans. London, Faulkner, sculpteur patient et attentif… ou tel un
Beckett, Hardy – c’était le genre d’histoires qu’il lui lisait, qu’il voulait porter à sa
connaissance, à elle, une petite fille. Sa sélection brassait indifféremment livres pour démineur, conscient que chaque mot
enfants et livres pour adultes, si bien qu’il ne sembla jamais à Liv Maria qu’il existait de pourrait tout faire exploser, et qu’on doit
réelle frontière, non pas seulement entre ces catégories littéraires, mais entre ces les choisir avec un soin infini. Ici l’écriture
:
deux états. Les contes de Grimm étaient très cruels, après tout, alors que Samuel cherche à inventer l’impossible comment
Beckett, l’austère, le pessimiste dramaturge Beckett, avait écrit des pages si tout concilier, comment respirer dans la
émouvantes sur les biscuits, dans Murphy – des pages dont le père de Liv Maria avait honte, comment danser dans une
pressenti avec justesse qu’elles parleraient à un enfant, parce que leur problématique impasse jusqu’à ouvrir une porte là où se
(dans quel ordre manger les petits gâteaux, et pourquoi, et ce qu’impliquerait le dressait un mur… » ■
changement) résonnait avec sa propre vie quotidienne. »
Liv Maria, Julia Kerninon, Éd.. L’Iconoclaste, 320 P., 250 DH. La petite dernière, Fatima Daas,
Ed. Notabilia, 192 P., 250 DH.
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