Page 74 - GraziaMag.ma N°052 Fevrier 2021
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GRAZIA CULTURE
LE MAÎTRE
DES MAUX
Salim SAIDI nous livre un
premier recueil de poésie,
« Lacunes », dans lequel il dessine
Photos DR un monde où le mot a ce pouvoir
divin de traverser l’âme et l’esprit.
LA VIOLENCE DU MONDE alim SAIDI est un homme du 21ème
siècle, rappeur et poète, entre
« Tu sais ce qui arrive à ceux qui pensent qu’on peut Smodernité cruelle et tradition éculée.
survivre en respectant des lois morales ? Tôt ou tard, ils Sa poésie n’a rien de commun, son
interprétation n’est jamais figée en une
finissent piétinés. » Par Keltoum GHAZALI seule image. Le jeune auteur n’hésite pas à
transgresser les règles du bienséant pour
our le magazine Elle, « ce politique ; elle est connue pour ses nous faire voyager à travers les murs de la
véritable page turner engagements féministes. Leur fils, réalité, la nôtre… La sienne. « La
Premarquablement construit, est Alexandre, étudie dans une prestigieuse psychiatrie est une science totalitaire qui ne
un des livres les plus percutants de université américaine. Mais alors que tout soigne pas et met des faux remèdes sur les
l’année ». Publié en 2019, ou il rafle le semble leur réussir, une accusation de mauvaises plaies. », écrit-il.
Prix Interallié, les Éditions Gallimard le viol fait voler en éclats ce qu’ils avaient si Quel étonnement de lire une poésie aussi
publient ce mois en version Folio. Le chèrement acquis. Un roman puissant qui forte et poignante, actuelle et violente,
pich : les Farel forment un couple de interroge la violence du monde dans le paysage de la poésie
pouvoir : lui est un célèbre journaliste contemporain. ■ contemporaine au Maroc ! Avec ce premier
recueil, le jeune poète nous fait plonger
dans une autre dimension dont on ne sort
pas forcément indemne. Il y a, au cœur de
L’EXTRAIT ses questionnements, de ses
Comment basculait-on ? Ce qui s’exprimait dans les salles d’un tribunal, c’était le récit enfermements, un battement puissant, une
d’existences saccagées, c’était la violence, les blessures d’humiliation, la honte d’être à la force perdue, la beauté des mots.
mauvaise place, d’avoir cédé aux déterminismes, au désir, à l’orgueil ; d’avoir commis une Né en 1988 à Rabat, licencié en sciences
faute, une erreur de jugement ; d’avoir été léger, cupide, manipulé, manipulable, politiques, amoureux des livres et des
impuissant, inconstant, injuste, d’avoir trop aimé le sexe, l’argent, les femmes, l’alcool, les lettres, hypersensible de l’extrême, nourri
drogues ; d’avoir souffert ou fait souffrir ; d’avoir fait confiance, par aveuglement/amour/ d’Orient où il puise sa spiritualité et
faiblesse ; la honte d’avoir été violent, égoïste, d’avoir volé/violé/tué/trahi ; de s’être trouvé
au mauvais endroit, au mauvais moment, de payer pour son enfance, les erreurs de ses d’Occident d’où il tient son cartésianisme,
parents, les abus des hommes, leur propre folie, la honte de dévoiler sa vie, son intimité, Salim a su mêler ses deux influences pour
livrée sans condition à des inconnus ; de raconter la peur qui les intoxiquait, comme une donner vie à ses pensées dans un recueil
seconde peau urticante, une perfusion venimeuse ; la honte d’avoir gâché chacune de ses poignant. ■
chances avec application.
Karine Tuil, Les choses humaines, Gallimard, Folio 6887. Salim SAIDI,
Lacunes, Les Éditions « Onze »
74 − GRAZIA MAROC • Février 2021