Page 74 - GraziaMag.ma N°046 Juillet 2020
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GRAZIA CULTURE























                                                                                        Les sirènes

                                                                                        de la liberté


                                                                                        Disparue en mai dernier,
                                                                                        Marie Louise Belarbi
                                                                                        nous laisse aussi ce roman
              C’est beau la guerre                                                      qui est un peu l’histoire

                                                                                        de sa propre vie.
            Le prix Orange du livre en Afrique a consacré le roman « C’est                 e 28 mai dernier, la grande dame du
               beau, la guerre », de Youssouf Amine Elalamy. Un roman                      livre tirait sa révérence. Libraire
           émouvant sur les affres de la guerre et de l’exil, paru en 2019 aux          Lémérite, fondatrice du mythique
                                                                                        « Carrefour des livres » de Casablanca et
                 éditions Le Fennec, puis en France au Diable Vauvert.                  des Éditions Tarik, Marie Louise était

                                      Par Keltoum GHAZALI                               également l’auteur d’un roman aux
                                                                                        contours largement autobiographiques.
                 irigé par Véronique Tadjo, le jury   sa chair. Déjà, dans son précédent roman   Comme elle, l’héroïne se nomme Marie.
                 s’est dit « impressionné par le style de   Les Clandestins (Eddif, 2000), prix Grand   Comme elle, elle partage sa vie entre le
         Dl’auteur ». « Nous sommes transportés   Atlas 2001, Youssouf Amine Elalamy   lycée, la tenue de son foyer et l éducation
          dans un conflit qui ressemble à beaucoup d’autres   évoquait le tragique destin de clandestins   de ses trois enfants. Son mari, important
          dans sa cruauté et son absurdité. Et ce livre est   qui se noient en traversant le détroit de   homme d’affaires marocain lui accorde
          aussi un hommage aux réfugiés du monde entier et   Gibraltar pour rejoindre l’Europe. « Les   peu de temps et la néglige, mais elle lui
          à la résilience des survivants. » Le livre   destins de ces personnes contraintes à l’exil me   voue toujours une grande tendresse. Un
          Youssouf Amine Elalamy raconte en effet   bouleversent. C’est presque une thérapie pour moi   jour, le téléphone sonne. Une erreur. Elle
          l’exil d’un jeune comédien de théâtre fuyant   d’écrire sur ce sujet ».      raccroche. L’homme rappelle et entame
          une guerre civile et un régime sanguinaire   Youssouf Amine Elalamy est l’auteur de   un dialogue. Elle coupe court. Mais dès le
          qui mate la rébellion avec une brutalité   plusieurs romans. Auteur francophone, il   lendemain, les appels vont se succéder, de
          inouïe. Contraint à l’exil, chassé de son pays   publie en 2005 Tqarqib Ennab, un livre en   jour en jour. Marie finit par prendre goût
          par cette guerre fratricide, il embarque sur   Darija (arabe marocain) et obtient en 1999,   à ces conversations qui remplissent le
          un rafiot. Placé dans un camp de réfugiés   le Prix du meilleur récit de voyage décerné   vide de son quotidien de femme
          après la traversée, pour soulager la douleur   par le British Council International pour   délaissée. Le tourbillon déclenché par ce
          des migrants, il décide de ressusciter les   ses écrits en anglais. Ses livres sont traduits   premier coup de fil anodin soulèvera
          morts... Grâce à une écriture hors pair,   dans plusieurs langues. ■          dans son sillage les questions du mariage
          l’auteur parvient à nous plonger dans                                         mixte, des déceptions et des
          l’univers absurde et cruel de la guerre et de                                 renoncements tissés tout au long de
          l’exil, tant et si bien tant que le lecteur a   Youssouf Amine ELALAMY, C’est beau la   l’existence, du poids de la famille et des
          l’impression d’en éprouver les affres dans   guerre, Éditions Le Fennec, 80 DH.  traditions. Elle finira par franchir le pas en
                                                                                        voulant aller à la rencontre de cet
                                                                                        homme dont elle ne connaît que la voix,
                 L’EXTRAIT
            « À l’extérieur, les autres attendaient leur tour et réfléchissaient à ce qu’ils pourraient   sans savoir que c est l’inconcevable qui
            proposer pour se rendre utile. Je n’avais donc que quelques secondes, une minute tout   l’attend au bout du chemin. ■
            au plus, pour sauver ma peau. C’est alors que j’eus cette idée venue de je ne sais où. Je
            levai les yeux sur elle et je dis sans hésiter : — Je sais réparer les vivants. »  Marie Louise BELARBI, Ligne Brisée,
                                                                                        Éditions Zellige.


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