Page 30 - GraziaMag.ma N°045 Juin 2020
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GRAZIA INTERVIEW
GIORGIO ARMANI
“Je ne renonce jamais”
Premier couturier à avoir présenté sa collection automne-hiver 2020/21
devant une salle vide, sans aucun public, à la Fashion Week de Milan,
Giorgio Armani a reconverti ses ateliers pour confectionner des blouses
pour les médecins et les infirmières. Le Maestro de la mode italienne
confie à Grazia sa quarantaine, ses souvenirs d’enfance durant la guerre,
et sa vision de l’avenir, après cette expérience inédite.
Interview réalisée par Poala Jacobbi.
Votre décision de tenir le défilé de mode à huis clos a été le Quel a été le coût émotionnel de choisir, pour la première
premier signe de cette période difficile. Pouvez-vous nous fois de votre histoire, de montrer vos créations sans public ?
dire comment cette décision a été prise ? Ce n’était pas la première fois. Cela est déjà arrivé à Paris, il
J’ai toujours suivi la situation avec un intérêt particulier, en y a des années, lors d’un défilé de mode à huis clos, bien
restant le plus informé possible. Lorsque j’ai perçu la qu’à l’époque, le public était composé de mes employés.
gravité de la situation, je n’avais pas envie d’exposer les Tandis que cette fois-ci, le public était totalement absent,
nombreuses personnes qui participent aux défilés de mode, hormis quelques techniciens.
c’est-à-dire mes employés, les journalistes et les acheteurs, à Quelle a été votre impression face à cette absence de public ?
un risque pour leur santé. J’ai cherché une alternative, qui C’était un sentiment étrange, un peu surréaliste, mais j’étais
ne mettrait pas fin au système et qui protégerait tout le sûr d’avoir fait le bon choix et je me sentais à l’aise.
monde. Je pense que j’ai pris une sage décision, que je Ces jours-ci, on entend souvent dire que nous sommes en
répéterai à l’avenir. Et j’ai été très heureux de voir guerre, avec une pléthore de métaphores militaires utilisées
l’appréciation du public. Ils m’ont fait confiance, et je les dans les discours, par exemple, “combattre le virus”, “être
en remercie. retranché à la maison”, “faire la queue pour acheter du
Comment s’est passée votre semaine précédant le défilé ? pain”, ou le rationnement de certains produits.
Cela a été une semaine de travail intense, comme le sont Comme votre génération a vraiment vécu une guerre réelle, quelles
toutes les semaines avant un défilé de mode, mais similitudes et différences voyez-vous ?
inévitablement affectée par les nouvelles qui ont continué à Nous sommes effectivement en guerre, mais contre un
affluer. Je me souviens avoir pensé que ce qui se passait en ennemi invisible et global. La peur, cependant, pour moi et
Chine n’était plus si lointain. mes proches, est la même. Tout comme le grand désir de
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