Page 13 - GraziaMag.ma N°044 Avril-Mai 2020
P. 13

GRAZIA CHRONIQUE





















                                                                                  Photo  : DR



                    DEMAIN SERA UN JOUR NOUVEAU


                                              Par Imane Naciri



                                 ous ne sommes pas encore sortis. Ni   saupoudrés de cannelle, de clous de girofle et de ras
                                 dehors. Ni de l’auberge. Marcher   al hanout.
                                 librement dans la rue, entrer au   Nous traverserons les vallées et apprécierons le vide,
                                 supermarché et acheter des      mais surtout le plein. Le plein d’émotions, de
                    Nbroutilles superflues à souhait,            couleurs, de gens, de bruit. Car, oui, cette absence
                     s’asseoir à une terrasse de café, flâner dans un mall,   nous a déboussolés. Nous nous enivrerons de
                     serrer ses parents dans ses bras, saluer les passants.   rencontres, de plats partagés, de danses chamaniques
                     Et partir en vacances…                      gnawi aux sons envoûtants.
                     Quitter nos prisons dorées et voler vers d’autres   Nous nous accommoderons de la médiocrité des
                     cieux. Pas si éloignés, car cette année, partir en   services de nos restaurants, car ils nous ont manqué.
                     dehors de notre pays sera quasiment impossible. Et   Nous sourirons à ces serveurs qui n’ont pas travaillé
                     nous allons enfin le découvrir, ce Maroc que nous   depuis plus de cinq mois, et qui se démèneront pour
                     avions délaissé, pour nos vacances.         nous servir nos jus fades ou nos thés brûlés. Peu
                     Emprunter quelques chemins                               importe, pourvu que nous soyons
                     sinueux, importuner des arbres                           dans un café.
                     courbés par le vent, se mouvoir   Quitter                Nous hélerons un taxi dans la rue,
                     au gré des ombres des oiseaux   nos prisons              et il se fera une joie de nous
                     planant dans le ciel bleu. Nous                          accompagner au bout du monde
                     allons succomber aux joies de   dorées…                  sans sourciller, car l’odeur des gens
                     notre pays, goûter au terroir et à                       entassés dans son petit tacot lui a
                     ses mots harmonieux. Nous irons                          manqué.
                     dans des endroits que nous                               Nous irons faire des massages dans
                     avions snobés jusque-là, nous allons rendre le Sud   des hammams brûlants, nous envelopper de savon
                     chic et couronner le Nord, déserté depuis   noir et de henné aux fleurs d’oranger. Nous
                     longtemps.                                  aimerons y écouter le cliquetis des mots, chantés en
                     Nous égrènerons le chapelier des villes les plus   louange à notre culture.
                     folles, nous deviendrons des pèlerins de Majorelle,   Nous ne critiquerons plus la rue sale, lavée cent fois
                     sillonnant l’arrière-pays et explorant le littoral   et désinfectée autant de fois. Elle nous plaira cette
                     sauvage, ou souillé par une foule nomade.   rue négligée, ces gosses entassés à jouer au foot, au
                     Nous irons à la mer ou à la montagne, nous réjouir   milieu du boulevard, ces petits rassemblements
                     et accueillir, les shorts, les maillots, les voiles et les   fortuits de jeunes. Nous leur sourirons, car ils
                     jeans. Nous inviterons notre diversité à notre table,   représentent la Vie et son prolongement.
                     nous cultiverons notre tolérance que nous avions   Demain sera un jour nouveau. Nous nous
                     bafouée ces derniers temps.                 réconcilierons avec nos frères de sang, et notre patrie
                     Nous accepterons nos différences, dans nos plages   nourricière. Épicuriens nous étions, épicuriens nous
                     et dans nos assiettes. Nous humerons les épices   redeviendrons. ■
                     agréables, et devinerons les goûts d’antan,





                                                                                               Avril/Mai 2020 • GRAZIA MAROC  − 13
   8   9   10   11   12   13   14   15   16   17   18